dimanche 26 février 2012

L'écume des jours - Boris Vian

Résumé (source)
Chick, Alise, Chloé et Colin passent leur temps à dire des choses rigolotes, à écouter Duke Ellington et à patiner. Dans ce monde où les pianos sont des mélangeurs à cocktails, la réalité semble ne pas avoir de prise. On se marie à l'église comme on va à la fête foraine et on ignore le travail, qui se réduit à une usine monstrueuse faisant tache sur le paysage.

Pied de nez aux conventions romanesques et à la morale commune, L'Ecume des jours est un délice verbal et un festin poétique. Jeux de mots, néologismes, décalages incongrus... Vian surenchérit sans cesse, faisant naître comme un vertige chez le lecteur hébété, qui sourit quand il peut. Mais le véritable malaise vient d'ailleurs : ces adolescents éternels à la sensibilité exacerbée constituent des victimes de choix. L'obsession consumériste de Chick, née d'une idolâtrie frénétique pour un certain Jean-Sol Partre, semble vouloir dire que le bonheur ne saurait durer. En effet, l'asphyxie gagne du terrain, et l'on assiste avec effroi au rétrécissement inexorable des appartements. On en veut presque à Vian d'être aussi lucide et de ne pas s'être contenté d'une expérience ludique sur fond de roman d'amour.

Mon appréciation
Comme les études ont repris leur cours normal, et que j'ai donc moins de temps pour écrire de nouveaux billets, voici ma présentation d'un de mes livres préférés à vie, que je classe haut la main parmi mon top 10 personnel de mes meilleures lectures, rien de moins : L'écume des jours, écrit par le fantastique et multidisciplinaire Boris Vian. :)

L’imaginaire de Boris Vian
Boris Vian (1920 - 1959), un artiste aux multiples talents. Écrivain, poète, dramaturge, parolier, musicien (de trompette), chanteur, critique, traducteur, scénariste, acteur, peintre et même ingénieur, il a touché à de nombreux métiers. Mais Vian est un de ces rares artistes à avoir un « style » propre qui le rend immédiatement reconnaissable auprès du public, et ce, peu importe sous quelle forme il présente son art. Dans ses romans, on identifie cet auteur avec facilité, et ce, même s’il explore des « idiomes » différents dans ses récits. Ses jeux de mots et son imaginaire à la fois candide et cruel ont fait sa réputation de grand écrivain en avance sur son temps. Ces jeux et cet imaginaire sont très présents dans son roman L’écume des jours (1946).

Dans son avant-propos, Boris Vian qualifie son histoire de « vraie puisque imaginée ». Écrivain à la plume non-réaliste, Vian préfère en effet faire travailler son imaginaire dans L’écume des jours. Il situe une banale histoire d'amour dans tableau étrange, poétique et totalement imprévisible.

I. L’ambiance onirique et remplie de poésie
Ce qui frappe d'abord, c'est l’ambiance onirique et poétique est annoncée dans l’avant-propos par Boris Vian :
« Sa réalisation matérielle proprement dite consiste essentiellement en une projection de la réalité, en atmosphère biaise et chauffée, sur un plan de référence irrégulièrement ondulé et présentant de la distorsion ».
Ceci se retrouve effectivement tout au long de L’écume des jours dans les images poétiques présentes dans l’écriture de Vian. Par exemple, on y retrouve des phrases telles : « il pinça vigoureusement l'extrémité d'un rayon de soleil qui allait atteindre l’œil de Chloé ». Ce genre d’image plonge le récit dans une ambiance onirique où rien ne semble réel, mais où, pourtant, tout a une logique, dans la mesure où le monde créé dans L’écume des jours se tient. En effet, tout y fait sens pour les personnages puisque nul ne semble surpris de l’étrangeté de cet univers. Aussi, certaines images dépassent le stade de la narration, pour s’inscrire au coeur même du récit. Par exemple, Chloé est atteinte d’un nénuphar au cœur (!). Ces images sont avant-tout des créateurs d’ambiance avant d’être des métaphores ou des symboles. C’est la description du quotidien des personnages, d’un quotidien merveilleux et poétique.

II.  Le jazz
La musique jazz, dont Vian était féru, donne une atmosphère à l’ensemble du roman, un peu d'après-guerre, un peu sensuelle, sans cesse empreinte de poésie et pleinement jeune. Le fond de jazz permet de lire le livre comme on écoute un morceau de musique. Boris Vian a d’ailleurs écrit son manuscrit en s’inspirant de la musique de Duke Ellington, un jazzman qui est cité dans le roman lorsque Colin demande à Chloé : « [ê]tes-vous arrangée par Duke Ellington ?» Ce moment du récit permet de voir Chloé comme une partition sur laquelle l’auteur improvise comme on improvise le jazz. Et si la femme et la musique se confondent, il en va de même des décors. Par exemple, il existe un moment dans le récit où, sous la pression d’une chanson, la chambre carrée des héros devient ronde!

III. La présence des objets vivants
L’écume des jours présente aussi un monde où les objets prennent vie. Ceux-ci sont tout d’abord vivants au sens biologique du terme. Certains agissent comme une plante, comme le carreau brisé de la fenêtre qui repousse. D’autres possèdent de mauvaises intentions, comme la cravate étrangleuse. C’est qu’ils participent à la vie du  roman, sans intention morale. Les objets ont donc des fonctions biologiques et des intentions psychologiques. Ils peuvent aussi participer à la vie en se « collant » à celles des personnages. Par exemple, la chambre rapetissent en même temps que Chloé agonise...
On peut même dire que les objets changent, et ce, contrairement aux personnages qui n’ont pas d’évolution psychologique. Boris Vian s’emploie donc à créer un monde où les choses muent selon la constance ou les changements de la vie, puis meurt sans rien demander en retour. Par contre, les gens, à l'image de leur sentiment aussi froid et dur que le fer glacé, restent immuables (relativement). Les objets vivants participent donc à créer ce monde fantastique, absurde, étrange et illogique.

IV. Les jeux de mots
Boris Vian laisse aussi l’imaginaire s’exprimer sous une forme différente dans ce roman, son deuxième : il laisse en effet les mots en faire à leur tête. Présents dans les jeux langagiers, les mots ont un potentiel imaginatif assez grand chez Vian, et surtout dans L’écume des jours où ils évoluent dans un monde à part. Les jeux de mots sont d'ailleurs, à mon avis, le principal intérêt de ce roman. En voici quelques uns que j'aime beaucoup : on prend les mots au pied de la lettre, en s’excusant de ne pas pouvoir aiguiser une « pointe d’ail » (p. 10) et on émeut les gens en les « pass[ant] à tabac de contrebande » (p. 159) ; on leur fait subir de légères déformations telles « bedon » (p. 170) au lieu de bedeau ; on en crée de nouveau, comme le « pianocktail » (p. 12), qui est un piano permettant de boire la musique. Ces manipulations langagières permettent de faire naître un monde merveilleux où se confondent sens et réalité, angoisse et merveilleux.

En conclusion
Bref, l’ambiance onirique et poétique crée des images frappantes qui influencent l’histoire en la plongeant dans le merveilleux. Le fond de jazz du roman permet de lire le livre comme on écoute une musique. Les objets, quant à eux, en devenant vivants, en participant à la vie et en se transformant, créent un monde aux règles fantastiques. Quant aux jeux de mots, il se révèlent d'une grand créativité et font tout l'intérêt du récit.

8 commentaires:

Philisine Cave a dit…

Tout pareil que toi ! Tu me donnes l'envie de le relire

Philisine Cave a dit…

Tu me donnes envie de le relire : bravo pour ton analyse littéraire fournie ! Bises et bonne journée

Mascha a dit…

Merci beaucoup. :)
L'écume des jours est un livre qui gagne à être relu! hihi :)

Theoma a dit…

ça y est... j'ai envie de le relire ! c'est malin tiens ! ;-)

DF a dit…

Lu et relu dans ma folle jeunesse... cela ne me rajeunit pas! :-)

Mascha a dit…

Theoma : Faut pas se gêner alors! héhé

Mascha a dit…

DF : pourtant, les livres, ça n'a pas d'âge. ;)

Violette a dit…

tu me donnes vraiment envie de le relire. Je crois que je l'ai lu trop tôt, et je suis passée à côté de ses qualités.